La plateforme équatoriale à deux axes
Au début des années ’90s, quand je définissais le cahier des charges de mon projet de télescope de 20 pouces (500mm), j’étais à la recherche d’une façon innovatrice de suivre les étoiles avec un télescope à tube hémisphérique (ball scope). Je connaissais deux méthodes utilisées dans le passé par les amateurs: L’américain Norman James avait fait flotté l’hémisphère dans l’eau et utilisait un disque attaché par suction pour faire tourner le télescope. L’autre solution était celle d’Alphonse Pouplier qui avait robotisé une plateforme.
Cependant la plateforme de Pouplier ne permettait pas de manipuler le télescope à la main: il fallait absolument l’intervention d’un ordinateur. Ca fonctionnait bien avec un petit télescope de 4 pouces à grande ouverture (et champ de vision) comme le Astroscan mais ce n’était pas pratique pour un mastodonte comme celui que je me préparais à fabriquer. Quand à la plateforme de James, ça semblait une mauvaise idée dans un pays comme le Canada, où les températures sont en dessous de zéro la moitié de l’année!
La plate-forme de Poncet était plus prometteuse, mais je voulais voir si je pouvais améliorer deux principales limites des plates-formes de Poncet: le réarmement nécessaire à chaque heure et le fait que la plate-forme doit être fabriqué pour une latitude spécifique.
Après beaucoup de réflexion et d’expérimentation j’ai pensé à l’idée d’utiliser un rouleau d’entraînement, incliné à la latitude de l’observateur, qui entrainerait l’hémisphérique par friction. J’étais convaincu que cette idée, extrêmement simple, avait été essayée auparavant, mais, à mon grand étonnement, je ne pouvais trouver aucun exemple de ce type de monture dans la littérature internet, ni anglais ou en français.
J’ai d’abord essayé un seul rouleau motorisé mais, j’avais du mal à stabiliser la monture à cause de mon utilisation de billes à rotation libre comme ceux qu’on utilise sur les convoyeurs. J’ai alors passé à deux rouleaux d’entraînement, produisant une plate-forme beaucoup plus stable d’entraînement et plus de friction. Un jour, lors d’expérimentations avec la nouvelle plate-forme, je me suis aperçu qu’en utilisant deux rouleaux d’entraînement je pourrais créer un axe de déclinaison virtuelle si je laissais la bille de support à rotation libre se déplacer, en s’éloignant ou en se rapprochant, des rouleaux d’entraînement motorisés. Voici un croquis montrant comment la plate-forme à double axe fonctionne:
Les rouleaux d’entraînement tournent l’hémisphère à la vitesse sidérale de rotation à 1436 minutes. Ensuite, l’ensemble de l’hémisphère peut rouler (monter et descendre) sur les rouleaux d’entraînement motorisés, sans interruption de suivi, ce qui créé, par défaut, une plate-forme à deux axes.
Voici deux points de vue montrant les mouvements comme on les voient à partir de l’est et, à droite, en regardant en vue plongeante, parallèle aux rouleaux d’entraînement motorisés:
On voit que le mouvement de l’axe de déclinaison créé une rotation et une translation. Cependant, puisque les objets sous observation sont si éloignés, le mouvement de translation est insignifiant et seule la rotation se manifeste.
Ce principe de plateforme équatoriale à deux axes fonctionne à peu près à toutes les latitudes (15 à 55 deg latitude). Bien sûr, comme pour les plates-formes à double axe de type Poncet, l’axe « de la déclinaison » fonctionne sans rotation du champ de vision uniquement pour les objets situées près du méridien central (ligne joignant les pôles nord et sud et qui passe par le zénith), mais, néanmoins, elle offre à l’instrument un potentiel d’astrophotographie.
Après avoir inventé cette plateforme équatorial je décidai de ne pas en breveter l’idée. Cette plate-forme équatoriale aurait pu être une bonne idée durant les années 60 et 70 mais, avec l’avènement des télescopes commandés par ordinateur, j’ai vite compris qu’un télescope capable de suivre les étoiles mais ne pouvant qu’être pointé manuellement sans possibilité de coordonnées numérique ne serait pas très populaire. L’obtention et le maintien d’un brevet est une procédure très coûteuse. Une analyse de rentabilité doit justifier les frais. Le passage des années m’a donné raison et l’idée n’a jamais pris racine auprès des astronomes amateurs.
Avant d’essayer cette nouvelle plateforme sur un télescope de 20 pouces, j’ai d’abord testé le principe sur un prototype f/3.7 d’un diamètre de 6 pouces monté à l’intérieur d’une hémisphère (globe terrestre en carton) enduit de fibre de verre et de résine. j’ ai présenté ce télescope au congrès des fabricants de Stellafane (Vermont) en 1995. Le voici:
Ma présentation à ce congrès constituait la divulgation publique qui permettrait à la fois confirmer ma paternité sur l’invention, rendant son brevetage impossible pour moi ou n’importe qui d’autre à l’avenir. À mon grand étonnement, et déception, ce premier prototype d’une plate-forme équatoriale pour télescope à tube hémisphérique ne reçu même pas un prix de reconnaissance pour innovation! Je suis conscient que le prototype n’était pas beau et grossièrement assemblé: c’était un prototype fonctionnel mais, néanmoins, il introduisait une innovation jamais vu auparavant, et qui aurait dû être soulignée par les juges de Stellafane. Heureusement, Roger Sinnot l’éditeur de la revue Sky and Telescope fut impressionné quand il a vu l’instrument à Stellafane et m’a demandé de rédiger une brève description. Ce texte fut inclus dans un article du numéro de janvier 1996 intitulé «Les 10 meilleures idées de télescopes de l’année ». J’avais atteint mon objectif: mon concept serait diffusé dans le monde de l’astronomie amateur et ma vanité en tant qu’inventeur serait satisfaite et ma paternité à jamais immortalisée dans les pages de cet illustre magazine.
Suite à l’article dans S & T j’ai été contacté par de nombreux amateurs intéressés par l’idée, y compris le regretté Peter Smitka, fondateur de Mag 1 instruments, qui était intéressé à l’utiliser sur les futurs télescopes Portaball. Peter n’a jamais donné suite en raison de la nécessité, selon lui, d’avoir des trous de ventilation percés dans les hémisphères des télescopes qu’il bâtissait. Malheureusement ces orifices pouvaient interférer avec les rouleaux d’entraînement. Peter décida plutôt de recommander à ses clients d’utiliser la plate-forme Poncet.
Il a fallu plus de 10 ans pour qu’un autre astronome amateur construise un télescope à base hémisphérique qui utilisait le concept que j’avais inventé. Sans avoir lu mon article de S&T de Janvier 1996, le fabricant de télescope amateur de l’Orégon Jerry Olton, à redécouvert le concept d’entraînement d’une hémisphère par rouleaux motorisés. Le magazine S&T a publié plusieurs articles décrivant les télescopes de Jerry, qui a choisi de n’utiliser qu’un seul rouleau d’entraînement plutôt que deux. Jerry, avec qui j’ai eu le plaisir de correspondre à plusieurs reprises, est un grand ambassadeur des montures à tube hémisphériques et a depuis construit plusieurs instruments. Tant Jerry que moi espérons que plus d’astronomes amateurs découvriront les avantages de ce type de monture et en fabriqueront.